Parce que le populisme se fait peau neuve, jetons un coup d'oeil à sa jeunesse.
S’il est un terme politique qui semble cristalliser les opinions ces jours-ci ce serait le populisme, un phénomène inquiétant voire dangereux pour certains tandis que pour les autres il s’agit de l’expression populaire libérée.
C’est pourquoi plutôt qu’en discuter à travers une diatribe sur un sujet brûlant d’actualité qui ne servirait qu’à exacerber les tensions partisanes, j’ai décider de m’intéresser à un cas mort et enterré depuis prés de 2100 ans : les frères Gracchus et la lex Sempronia.
L’analogie n’est pas innocente car si le contexte est très différent de celui de n’importe quelle société actuelle, le débat politique auquel ont pris part sénateurs, consuls et Tribuns résonne encore aujourd’hui rendant par conséquent leurs réactions, réponses et conséquences des plus intéressantes
1) La république Rome à l’aube du Ier siècle av. JC
Rome à cette époque commence à ressembler à l’image que l’on lui connait. L’Italie est entièrement sous contrôle romain de même que la Gaule Narbonnaise, La côte est de l’Hispanie, la Grèce, les anciens territoires de Carthage en Afrique du nord, la Corse, la Sicile, ainsi que quelques possessions en Anatolie.[1]
Il est important de rappeler que chaque annexion généralement est suivie par une vague d’esclave provenant de ces anciennes provinces, ces derniers inondent alors le marché aux esclaves de Rome, charmant n’est-ce pas. En principe, ces vagues d’esclaves ont pour but de permettre à chaque citoyen de se procurer les services d’un esclave, en pratique cependant les effets se sont avéré très différents.
Les citoyens les plus fortunés, généralement associés à la classe sénatoriale ont réalisé qu’ils pouvaient réaliser de gigantesques bénéfices s’ils rachetaient les fermes des citoyens romains les plus modestes, les en chassaient puis en les remplaçant par des esclaves pour ensuite étendre la production dans de grand complexes appelé Latifundia.
Ce procédé ravageait la campagne romaine à la fin du IIésiècle av. JC et voit pour conséquence l’arrivée de nombreux citoyens appauvris dans les rues de Rome.[2]
[1] Géopolitiquement l’évènement majeur de cette période est le testament du roi Attale III du royaume grec de Pergame dans lequel il désigne la république romaine comme héritier à sa mort.
[2] Cette procédure n’est pas sans rappeler le processus d’enclosure qui provoqua l’exode rural vers les centres urbains en Angleterre à l’aube de la période industrielle.
2) Les frères Gracchus et la lex Sempronia
Tiberius Sempronius Gracchus le jeune
Tiberius Sempronius Gracchus est le fils de Tiberius Gracchus dit : « l’ancien »[1], et si à Rome la noblesse ou nobilitas s’hérite de père en fils, il est du devoir civique de chaque génération de confirmer cette noblesse sans quoi la gens ou famille tout entière perd tout prestige aux yeux de la société romaine
Tiberius initie sa carrière en rejoignant la dernière campagne contre Carthage de son beau frère Scipion Emilien, et si aucun fait d’arme ne nous est rapporté, il gagne dans cette campagne la popularité qui lui permet de devenir questeur[2]sous les ordres du consul Gaius Mancinus dans sa campagne contre les numantins en Hispanie. Cette campagne fut un désastre et au fur et à mesure que notre champion Mancinus perd chacune de ses rencontres avec les numantins, celui-ci perd le respect de ses hommes et ennemis qui lui préfèrent Tiberius.
C’est dans ces circonstances que Tiberius se retrouve convoqué par les numantins et signe une paix ne garantissant que la survie et respect de la liberté des légionnaires survivants en honneur au traitement de Tiberius sénior[3].
Au Sénat cette défaite entache la réputation des Gracchii et Tiberius junior se voit accusé d’avoir acheté sa sécurité au profit de l’image de la république. Les familles de légionnaires, à l’inverse, lui vouent une loyauté solide, encore heureux, ce qui avec le soutien des Scipions[4], lui évite d’être, à l’image de notre illustrissime Mancinus, livré au numantin nu et enchainé heureusement pour nos politiciens les mœurs évoluent.
C’est sur la route qui le ramène d’Hispanie que Tiberius atteste de l’état de précarité des légionnaires retournant à leurs familles[5]. Les voyants reprendre la vie civile ruinés par les rachats de la classe sénatoriale, il devint Tribun de la Plèbe puis développa la loi qui l’a fait entrer dans l’histoire : La Lex Sempronia.
[1]A Rome, par soucis de simplicité, il est courant de porter le nom de son père, pour différencier père et fils il est coutume d’y ajouter l’épithète « l’ancien » et « le jeune », ces épithètes n’était cependant pas employé dans les conversations, renforçant l’importance de la Gens ou « famille » sur l’individu.
[2]Un Questeur s’apparente à un ministre des finances, dans ce cas son rôle était la gestion des finances des légions du consul Mancinus
[3]Tiberius Sénior avait en effet reçu un triomphe en -178 pour ses campagnes contre les celtibères d’Hispanie dont les numantins sont un des nombreux peuples, et ce premier s’illustra par sa clémence auprès des insurgés numantins
[4]Les Scipions étaient une des familles les plus illustres de Rome. Ils obtiennent leur lettres de noblesses lorsque Scipion l'Africain triompha d'Hannibal lors de la 2é guerre Punique. Chose interessante la fille de Scipion l'Africain, est aussi la mère de Tiberius et Gaius, et la principale raison du soutiens des Scipions envers les Gracchus.
[5]Il est important de rappeler que ce que nous savons des Gracchus nous vient principalement de Plutarque et Appien chacun d’entre eux postérieur de 100 à 200 ans aux faits qui nous intéresse ici
La Lex Sempronia
Cette loi propose un retour à une vieille loi tombée en désuétude qui limite la possession d’un citoyen romain à 500 jugères soit environ 126 hectares pour sa seule propriété et jusqu’à 250 hectares s’il possède deux fils.
Le bétail serait limité à 100 bêtes de gros bétail (bœuf, cheval) ou 500 bêtes de petit bétail (tout le reste).
A cela, la loi de Tiberius saisie contre compensation les terres excédantes aux grands propriétaires. Ces terres seraient alors allouées aux citoyens les plus démunis sous forme de lot de 7,56 hectares sous la supervision de la famille Sempronia (les Gracchii).
Ce qui est amusant avec cette loi c’est qu’elle ne serait pas si anachronique dans un contexte moderne et n’est pas sans rappelé certaines mesures prise par Mao ou Staline.
La chute du frère modéré
Si cette loi connait un succès immédiat auprès des classes populaires (oh surprise !), elle déplait grandement aux membres les plus illustres de la classe sénatoriale qui construisent une grande partie de leur pouvoirs politiques sur ces grandes propriétés agricoles.
Les sénateurs modérés eux voient d’un très mauvais œil la façon dont les Gracchii s’attribuent des pouvoir au profit du Sénat qui est de par la tradition la seule institution ayant droit de regard sur l’Ager Publicus[1]. Le fait que les Gracchi soit désigné pour superviser la redistribution fait automatiquement des bénéficiaires de cette loi des clients[2]des Gracchii au sens romain du terme.
Pour se prémunir de la Lex Sempronia que le Sénat ne pouvait rejeter sans susciter l’animosité de la plèbe[3], quelques sénateurs achetèrent l’un des 9 autres tribuns de la Plèbe servant avec Tiberius du nom d’Octavius[4] pour qu’ il exerce son véto et tue ainsi la loi tant que le véto serait maintenu[5]. L’idée affichée ici, était de geler le processus législatif jusqu’à ce que le mandat de tribuns limité 1 an de Tiberius expire, pratique depuis devenu célèbre dans nos parlements modernes.
C’est alors que Tiberius, après avoir tenter à deux reprises de convaincre Octavius de retirer son véto, arroge à la Plèbe le droit de destituer le tribun corrompu. Cet évènement bien que populairement soutenu était hautement illégale car suivant la loi romaine seul le Sénat était habilité à destituer un magistrat. Après destitution la loi fut votée avec pour seule abrogation la compensation payée aux citoyens dépossédé qui disparait du texte de loi.
Le tribunat de Tibère arrivant à terme il se mit alors en quête d’un deuxième mandat en tant que tribun de la plèbe, chose inédite à l’époque, pour, selon Plutarque, protéger sa loi agraire. N’en déplaise à Tibère cependant, la passion calmée, la destitution illégale d’Octavius de sa position de tribun de la plèbe, position jugée sacrée par la république romaine, ne le porte pas au rang de favori.
Lorsque le poste de tribun lui est refusé et après une escalade des tensions suite à des allocutions de plus en plus électriques le voyant contraint à se déplacer armé, il tente un ultime coup de pression sur le Sénat[6]. Ce qui arriva cependant c’est qu’après avoir été averti d’un possible assassinat Tibère s’illustra avec une gestuelle que l’opposition interpréta comme une couronne et alors que ses partisans s’armèrent et qu’au Sénat le consul appelle au calme, le Pontifex Maximus Scipion Nasica[7]mène une émeute qui lorsqu’elle confronte les partisans de Tiberius lance une mêlée.
Cette mêlée causa la mort de 300 personnes dont Tiberius lui-même, mort probablement d’un coup de pied de chaise à la tête, son corps comme celui de nombre de ses partisans est jeté dans le Tibre, On notera cependant le gout pour le dramatique des historiens nous relatant ces faits.
Après sa mort en 133 av. J.C. ses partisans seront ou exilés sans procès ou arrêtés et exécutés quand à Nasica il devint l’un des personnages les plus détesté de Rome. Ce n’est pas la dernière fois dans l’histoire de Rome qu’un homme clamant agir hors des lois dans le souci de protéger les institutions se retrouva face à une population plus qu’hostile.
La loi agraire quant à elle se retrouva sous la supervision de Publius Crassus le beau père de Tiberius junior.
Plus central à notre sujet cependant, il s’agit ici de la première introduction de la violence dans le processus démocratique marquant le début d’une mode qui ne s’achèvera qu’avec la république elle même. Point d’autant plus crucial lorsque nous voyons aujourd’hui certains acteurs politique radicaux qui, dans l’espoir de gagner en popularité et en comptant sur une grogne générale appellent à l’escalade et tolèrent la violence physique dans le cadre d’action politique.
[1]Terre publique, disponible à l’achat
[2]Un client romain était un citoyen qui pour avoir bénéficié de service d’un patron, lui confiait officiellement son vote sur plusieurs générations, ceux-ci étais connus et jouait un rôle majeur durant les différentes élections romaines
[3]La plèbe définie tout citoyens romain n’appartenant pas à la classe sénatoriale et représentait à peu près 90% de la population.
[4]A ne pas confondre avec Gaius Octavius, futur Auguste et fondateur de l’empire romain
[5]Un tribun pouvait lever son véto à tout moment, ce qui, avec le mandat limité à un an en faisait une arme de choix bloquer des motions populaires sans compromettre le Sénat.
[6]Si Tibère n’a pas de mandat officiel il demeure une personne d’influence au sein de la population romaine
[7]Scipion Nasica était le fils d’un membre de la famille Scipion auquel Tiberius sénior avait causé du tort, et cousin de Tiberius junior. Le débat persiste à ce jour sur les raisons qui l’aurait poussé à agir.
Gaius Gracchus le populiste
Gaius lui est un autre animal, là où Tiberius était calme et articulé, Gaius lui était virulent, suffisamment pour que certaines sources indiquent même qu’il avait un esclave, parce que tout bon romain a un esclave, qui, lorsque Gaius s’emportait, avait reçu l’ordre de jouer de la lyre pour rappeler son maitre au calme[1].
Il obtient le poste de Quaestor en 126 av. J.C. et sert sous les ordres du proconsul Orestes[2]en Sardaigne. Là bas, il s’illustre en obtenant le support des Sardes au garnisons romaines en place à travers un hivers particulièrement violent, ce entre autre grâce à l’image positive que les Sardes ont gardé de son père[3].
Ce geste dépassant le cadre officiel de ses fonctions inquiète le Sénat, soucieux de voire en lui un nouveau Tiberius naitre, il décide d’étendre le mandat du proconsul Orestes. Ce que le Sénat comptait faire dans ce cas précis cependant, c’est forcer Gaius Gracchus à rester en Sardaigne, car s’il était élu pour 1 an, il était dans la tradition romaine que le cabinet du proconsul l’accompagne jusqu’à ce que le mandat de proconsul se termine. Encore une fois nous voyons le Sénat détourner des détails techniques et la tradition de ses institutions pour avancer un agenda politique[4].
Et je vais m’arrêter ici un instant car le détournement des traditions de nos institutions est un procédé auquel nous restons confrontés aujourd’hui. Il s’agit cependant selon moi d’une pratique extrêmement dommageable à long terme, car elle entame la confiance que les citoyens arborent pour leurs institutions, ce dernier élément étant à mon sens la seule chance de survie de toute démocratie.
Gaius cependant, observant à raison que s’il s’agissait bien d’une tradition celle-ci ne s’appuyait sur aucune loi revient tout de même à Rome, et lorsqu’il se retrouve confronté par le Sénat, monte la population contre ce dernier soulignant la légalité de ses actions et la bassesse du Sénat, ce qui après l’épisode de Tiberius marque la population romaine.
Une fois cette affaire réglée, Gaius se présente en tant que candidat au même poste de Tribun de la Plèbe que son frère, et malgré les efforts acharnés de la classe sénatoriale l’accusant d’œuvrer contre les intérêts de Rome en planifiant une révolte avec les autres peuple d’Italie, Gaius bénéficie du souvenir de son frère aimé par la plèbe romaine et de l’impopularité du Sénat étant composé en grande partie des responsables du pauvre état social de la république, choses que Gaius sait exploiter à l’aide de ses grands talents d’orateur. Sa popularité à ce stade n’est pas à sous-estimer, les historiens relatant les faits vont jusqu’à nous parler de foule si gigantesque que les gens n’ayant plus assez de place dans les rues s’amoncelaient sur les toits pour l’apercevoir, on retrouve la passion littéraire des historiens antiques certes mais un tel enthousiasme ne nait pas du néant et il est à mon sens judicieux d’imaginer que la grande majorité de la population romaine de classe moyenne et basse était pro Gracchus et surtout « anti-establishment ».
[1]Ce genre de détail pullulent chez les historiens antiques, et sont en général très difficile à vérifier, les historiens modernes ont donc tendance à prendre ces notes plus sur le ton de la métaphore qu’en tant que fait avéré.
[2]. Un proconsul est un ex-consul qui en guise de remerciement pour service rendu à la patrie se voit assigné gouverneur d’une province de Rome, ce mandat généralement limité à 1 an pouvait se voire étendre afin de permettre au proconsul de gérer un problème qui dépasserait les termes du mandat
[3]Tiberius Senior mena une campagne de pacification en Sardaigne couronnée de succès qui lui offrit un 2é triomphe, à ce point inédit dans l’histoire de Rome
[4]Nous voyons ici le Sénat détourner la tradition de ses institutions dans le seul but de nuire à un homme en particulier
Gaius, le tribun de la plèbe
Les élections le donnent 4é pour une liste de 10 postes ouverts dans un processus d’élection largement orienté pour favoriser les éléments les plus riches de la société romaine[1].
Avec 10 postes ouverts une position de 4é favori, Gaius devient donc tribun de la plèbe et durant son mandat, usant de la mémoire de son frère et la bassesse du Sénat, il commence par légitimer la destitution d’un tribun par un autre tribun effectué par son frère, puis il pousse la condamnation de toute autorité qui procèderait au bannissement d’un citoyen romain sans procès. Ces lois ont pour particularité d’être rétroactive, et par conséquent, ne sont pas tant là pour prévenir ce qui est arrivé à Tibère tant elles visent des individus précis de la société Romaine ayant agi durant ces évènements, à l’image de Popillius Laena, le praetor[2]responsable de purge ayant suivi la mort de Tiberius qui, après que ces lois furent adoptées fuit l’Italie avant même son procès. Si la république romaine vous semble plus s’apparenter à un western qu’à un gouvernement ne vous inquiétez pas, ça empire.
Par la suite Gaius continue ses avancés populistes en s’adaptant à chacune des classes sociales de Rome les unes après les autres dans un procédé connu sous notre langue de: on promet tout on rase gratis .
Au citoyens ruraux pauvres il prévoit la distribution d’un boisseau de blé acheté par l’état puis distribué à un prix fixe, s’attire les faveurs des légionnaires en argumentant que l’état devrait se porter garant des dépenses militaires au lieu de laisser chaque individu s’équiper seul selon ses moyens[3].
A la classe moyenne il confie l’impôt des provinces d’Asie mineure et ouvre la position de juge qui autrefois fut réservée à la classe sénatoriale.
Ces mesures le rendent immensément populaire et alors que la population s’attend à ce qu’il entre en campagne pour le poste de consul il choisi à la place un candidat pour lequel il milite puis se retire de la vie politique pour l’année. Cependant le sort en décide autrement pour Gaius et lorsque vient le temps d’élire les tribuns de la plèbe et que, dû à un trop grand nombre de participant, trop peu d’entre eux arrivent à obtenir l’approbation nécessaire pour obtenir le mandat, les tribuns qui élus observant la loi nomment les postes manquants. Et c’est donc sous la pression populaire que les tribuns élus nomment Gaius Gracchus pour un deuxième mandat de tribun de la Plèbe, Gaius obtient donc ici sans campagne ce que son frère est mort en convoitant, habile !
[1]A Rome le vote n’est pas individuel mais effectué par tribu généralement délimité via géographie et c’est sans surprise pour vous à ce stade que je vous apprend que les citoyens les plus pauvre s’entassant dans les quartiers les plus défavorisés de Rome se voit relégués à un vote qui ne reflète en rien leur réalité démographique.
[2]Un Praetor était responsable de la sécurité à Rome
[3]C’est finalement le général Marius qui passera cette réforme, y sera ajouté la possibilité pour les légionnaires de récupérer une part des terres conquises pour s’y établir. Cette réforme aura pour effet de rendre chaque légionnaire loyal à son général et non à Rome ce qui condamnera la République sous César, la boulette.
Le deuxième mandat
Si Gaius voit en cette nomination un mandat populaire il trouve face à lui un Sénat plus hostile que jamais et un consul qui, alors même qu’il gagna sa position grâce à Gracchus, choisit de s’éloigner de Gaius.
Qu’à cela ne tienne, Gaius, conscient que son pouvoir a toujours résidé auprès de la Plèbe propose l’établissement de deux nouvelles colonies[1].
La réaction du Sénat, à l’annonce du projet, est tout d’abord de crier à la démagogie avant de prononcer la création de 12 nouvelles colonies, mais exclut aussitôt Gaius de tout rôle de supervision. Et de façon similaire le Sénat grâce aux efforts du tribun Marcus Livius Drusus, s’approprie et surtout dépossède Gaius de ses projets. Gagnant en popularité Drusus en profite pour faire voter une loi qui supprime les redevances sur l’Ager Publicus mesure privilégiant grandement les plus grands propriétaires, cela dit les citoyens les plus pauvres devant le payer aussi, j’imagine que les convaincre n’a pas été très dur.
A cela, Gaius, dans le but de récupérer de nouveaux votants, propose la création d’une colonie de droit romain sur l’ancien site de Carthage, rappeler l’histoire de sa famille ne fait jamais de mal, ainsi que l’extension de la citoyenneté romaine « sine suffragio[2] »aux autres peuples italiens[3].
Le Sénat conscient de la manœuvre se mit alors à nourrir la xénophobie romaine, parce que serait le populisme sans xénophobie, et réussit à convaincre que ces nouveaux citoyens éroderaient les privilèges des citoyens romains. Chose bien évidemment fausse puisque ces citoyens n’auraient pas le droit de vote mais le populiste Drusus se gardait bien de le rappeler.
Et là je vais m’arrêter un instant, car si l’on voit que refiler au petit nouveau tout les problèmes accumulés depuis des années est une tradition ancestrale, nous voyons surtout à quel point le populisme est plus souvent un outil politique visant à sécuriser des votes qu’une réelle action révolutionnaire. A ce stade Gaius n’est plus dans une action révolutionnaire, s’il ne l’a jamais été, car rappelons le c’est son frère Tiberius qui passa la loi agraire, et semble surtout se focaliser sur la constitution et solidification d’une base votante qui lui soit loyale. Et c’est ce qui apparait le plus au regard de nos populismes actuels, beaucoup de postures et de gestes symboliques pour finalement peu d’action réellement novatrices.
[1]A Rome une colonie est une cité de droit Romain fondée au sein du territoire Romain par des citoyens de Rome qui se portent volontaires. Cette action était très populaire auprès des citoyens les plus pauvre qui y voyaient la possibilité de récupérer une activité stable et un statut car ces citoyens devenaient par définition l’aristocratie de cette nouvelle ville. Géopolitiquement ces colonies avaient pour but d’exporter la civilisation romaine et de servir de point d’ancrage au pouvoir de Rome dans terres récemment acquises et par conséquent encore sujet aux révoltes.
[2]Sans droit de vote
[3]Les peuples vivant sous la domination romaine se voyait imposer des traités bilatéraux exclusif avec Rome, une cité ne pouvait pas discuter d’un accord avec une autre sans d’abord en référer à Rome et en obtenir l’aval. En revanche, en tant que citoyens Romain, en plus d’avantages fiscaux, il était possible de traiter avec chacune des constituantes de la république, l’avantage était tel que nombreuses élites fortunée locales soutenaient volontiers financièrement tout politicien romain qui pourrait leur fournir cette citoyenneté.
La grande débâcle
Voyant sa popularité s’effondrer au profit de Drusus, Gaius redoubla d’effort, quittant son domicile sur le palatin, quartier chic de Rome, pour s’installer dans les bas quartiers près du forum dans un geste digne d’une conversation Twitter, et tenta tant bien que mal de renouer avec la population romaine. C’est sans jamais y arriver cependant et lorsque les représentants italiens arrivèrent pour demander leur citoyenneté, le même consul mis en place par Gaius proclama l’expulsion de toute personne non romaine de naissance, les historiens ne mentionnent ni mur ni mexicain.
Ici Gaius bien qu’il promit de protéger toute personne qui le soutiendrait ne fit rien même pour ses plus proches alliés.
Gaius, qui soit dit en passant, a bien du mal à exister à ce moment, s’attaque à des jeux gladiatoriaux organisé par un autre tribun, ceux-ci proposaient des loges pour les citoyens les plus aisés qui entravait la vue des citoyens les plus pauvres. Gaius appela au démantèlement de ces loges et lorsque son appel ne fut pas suivi, s’employa à le démonter pendant la nuit avec une poignée de sympathisant. On remarquera, exemple des populistes moderne à l’appui, que plus un populiste rencontre des difficultés plus ils se radicalise pour finalement devenir une caricature de lui même.
C’est donc sans grande surprise que, lorsque vinrent les nouvelles élections, et que Gaius se présenta pour un 3é mandat, il perdit. Il commença alors à haranguer la foule défendant une victoire que le système lui aurait refusé, le grand classique[1].
Les choses dégénèrent pour de bon lorsque le Sénat avance l’idée d’un abandon d’une nouvelle colonie sur le site de Carthage, il rassemble des sympathisants. L’un d’entre eux répondant à une provocation commet un meurtre, la boulette, et lorsque, plus tard, Gaius et ses militants se rassemblent et occupent le mont Aventin pour faire écho à la révolte des romains contres les anciens rois de Rome, il est est rejoint par le Sénat qui propose le pardon de tout les sympathisants si Gaius et ses plus proches alliés venaient à se livrer.
A cela les populistes se refusèrent et le Sénat lui s’employa immédiatement à maitriser Gaius et ses hommes. L’armée décima la foule avec ses archers, un peu costaud pour gérer une manifestation, et Gaius lui fuit la scène pour, suivant les sources, ordonner à son esclave qui le suivait de le tuer ou être exécuté. L’histoire raconte que comme Rome avait promis à toute personne qui ramènerai la tête de Gracchus serai payé le poids de celle-ci en or, un homme décapita son corps, vida le contenu de la tête est le rempli de plomb le reste de son corps quant à lui, comme ce fut le cas pour son frère fut jeté dans le Tibre. Ses partisans qui arrivèrent à survivre se virent expropriés exilés ou exécutés.
Le Sénat marqua ce règlement de compte à OK corral qu’ils voyaient comme la deuxième confrontation de Rome contre la tyrannie, cette fois face à la tyrannie des Gracchus, fallait oser, en fondant un temple de la concorde, à ce stade rien n’est trop gros.
Cependant le mal était fait moins d’une décennie après la mort de Tiberius le discours politique fut à nouveau marqué par la violence, une tendance qui se répètera tout au long du 1ersiècle av. J.C.[2]et d’aboutir après maintes guerres civiles à la chute de la république sous l’empereur Auguste.
[1]Gaius ne perdit pas ces élections parce que les élections étaient truquées, bien qu’elles l’étaient, mais parce que les romains ne lui avaient pas pardonné son appel à l’accession à la citoyenneté romaine des sujets italiens. Cette tension mena plus tard aux guerres sociales qui opposeront les Romains aux sujets italiens unis sous une coalition.
[2]Guerre sociale, Marius, Sulla, Spartacus, César et Auguste pour quelques exemples
3) Les legs des Gracques
Enfin ce qui est intéressant avec les frère Tiberius et Gaius Gracchus et cet évènement de l’histoire se sont les perspectives qu’elles présentes, car si nous ne savons pas comment nos démocraties finiront nous savons comment la république romaine s’est éteinte, très mal. Et même si, comme nous l’avons vu la démocratie romaine avait une conception très particulière du peuple de romain, il y a dans ces processus des pratiques populistes criantes de modernité.
Le populisme qui a nourri les discours des Gracchus, s’il était certes amplifié et détourné par les démagogues apparait surtout comme les symptômes d’un malaise au sein de la société en générale. Je pense qu’il est aisé d’affirmer que le populisme aujourd’hui à cette même source dans le mécontentement d’une population dont les besoins ne sont pas adressés au profit d’alliance partisanes. Cependant, si cela s’avère correcte cela n’annonce pas le meilleur pour l’avenir, car ce qui suit pour Rome c’est un désintérêt croissant des citoyens Romains pour la politique. Les politiciens quant à eux se mirent progressivement à abuser de leur pouvoir de manière publique et régulière dans un climat d’apathie générale. C’est pour cela que quand les Sénateur Brutus et Cassius assassinèrent César ils furent surpris de voir que ce dernier était plus populaire que n’importe quel Sénateur, dommage de s’en rendre compte après les faits ceci dit. Ce sont en fin de compte les romains eux-mêmes qui abandonnèrent la république.
Autre élément intéressant de cette histoire.
Un aspect souvent mis à mal par les politiques aujourd’hui est l’aspect sacré des institutions, les populistes l’interprètent comme une entrave au discours publique tandis que les structures qui s’y opposent se permettent de l’ignorer ou pire de les détourner. Il s’agit pourtant ici de ce qui, à mon sens, garantit le maintient du discours politique entre les différentes factions, nécessaire au bon fonctionnement du bon processus démocratique. Sans ces éléments le discours dévolu en politique musclé et chaque faction devient de facto l’ennemi empêchant par la même occasion toute chance de compromis et réforme réellement inclusive. On est dés lors en droit de se demander : que vaut la démocratie lorsqu’elle se réserve à certains.
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